Combien de fois avons-nous confondu feedback et critique ? Combien de fois avons-nous reçu des compliments vagues qui ne nous ont rien appris ? Ou pire encore, combien de fois avons-nous été démotivés en quelques secondes par une critique mal formulée ? « Le feedback est un cadeau que vous faites aux autres pour les faire grandir. » Mais combien sommes-nous à donner des feedbacks maladroits, qui ne permettent pas d’apprendre ? Dans sa conférence sur l’art du feedback efficace, Hervé Franceschi nous propose une approche à la fois simple et puissante. Une méthode pour donner et pour recevoir un feedback qui le transforme en un véritable outil de croissance.
Cet article complète l’article sur la puissance du feedback dans le milieu professionnel. Ici, nous aborderons la façon dont nous pouvons concrètement donner un feedback constructif.
Sommaire :
Les caractéristiques d’un bon feedback
Une méthode simple et efficace pour donner un feedback constructif
L’art de recevoir le feedback
Un bon feedback peut changer une vie
Les caractéristiques d’un bon feedback
« Waouh, c’était super ! » n’est pas un feedback. Il n’apporte rien à celui à qui il est destiné, sauf de savoir que vous avez aimé. Pour qu’un feedback fasse grandir, il doit respecter certaines caractéristiques :
Précis : Identifiant clairement les comportements ou résultats spécifiques, évitant les généralités.
Concis : Allant à l’essentiel, sans se perdre dans des détails superflus.
Factuel : Basé sur des observations concrètes plutôt que sur des jugements ou des interprétations.
Constructif : Orienté vers l’amélioration et la croissance, jamais vers la critique pure.
Actionnable : « Ça veut dire que je vais pouvoir en faire quelque chose, » explique Hervé Franceschi. Un bon feedback doit pouvoir être traduit en actions concrètes.
Donner un feedback et assurer son suivi
Il ajoute une dimension souvent négligée : le suivi.
C’est essentiel pour transformer le feedback en progrès réel : « La prochaine fois que vous voyez la personne, vous devriez lui dire, top, tu as remis ça et ça et ça, ça marche. » Vous enfoncez le clou sur ce qui marche.
Sans ce suivi, le feedback reste une conversation isolée plutôt qu’un véritable processus d’amélioration continue.
C’est une pratique que vous pouvez mettre simplement en place dans votre entreprise avec vos équipes, lors de RDV réguliers.
Une méthode simple et efficace pour donner un feedback constructif
Vous avez peut-être suivi des formations pour apprendre à donner des feedbacks constructifs, mais sans doute avez-vous eu des difficultés à les mettre en pratique. Hervé Franceschi propose une méthode toute simple, facile à mettre en œuvre.
La formule gagnante du feedback 2 + 1
« Pour moi, la technique, c’est : 2 points qui fonctionnent bien, 1 point d’amélioration. 2 points qui fonctionnent bien, 1 point d’amélioration. », explique Hervé Franceschi avec insistance.
Cette formule établit d’abord une base solide de confiance en identifiant clairement ce qui fonctionne, avant d’introduire un élément d’amélioration.
Un point d’amélioration, ce n’est pas une critique, mais bien un axe sur lequel la personne sera capable de progresser, on en parle un peu plus loin.
Cette structure en 2 + 1 crée un cadre propice à l’apprentissage, où le destinataire se sent valorisé plutôt que menacé ou critiqué.
Pourquoi cette méthode est plus efficace que la « technique sandwich »
Hervé Franceschi met en garde contre une pratique courante mais inefficace : la « technique sandwich », qui consiste à placer une critique entre deux compliments.
Cette approche manque de sincérité : les compliments sont perçus comme de simples amortisseurs pour la critique centrale. « Vous n’achetez pas un sandwich pour le pain, » illustre-t-il avec humour.
La technique sandwich neutralise ainsi à la fois l’impact des éléments positifs et celui du point d’amélioration.
L’importance des points positifs comme fondations de la progression
Contrairement à une idée reçue, les points positifs ne sont pas là simplement pour faire plaisir ou adoucir la critique. Ils jouent un rôle fondamental dans le processus d’apprentissage.
« On donne des points positifs qui sont les points de construction sur lesquels vous allez progresser, » explique Hervé Franceschi. « Sinon, vous êtes en train d’apprendre quelque chose, mais vous ne savez pas où sont les fondations. »
« Comme dans une maison, on commence par les fondations. Quand vous faites un feedback, vérifiez que les gens ont compris les fondations qui leur permettent d’être excellents. »
Cette approche garantit que la personne identifie clairement ses forces et puisse les reproduire intentionnellement. « Les points positifs, ça me permet de savoir ce qui fonctionne chez moi, ou de contrôler que je fais toujours bien mes points forts. »
Sans cette conscience de nos fondamentaux, nous risquons de régresser : « Le danger, c’est de ne pas comprendre ce qui est essentiel pour vous et de ne pas pouvoir le reproduire. La fois d’après, vous avez un risque d’être moins bon. »
Se limiter à un seul point d’amélioration à la fois
Un autre principe clé de cette méthode est la concentration sur un unique point d’amélioration.
Cette limitation est intentionnelle et stratégique. « Je peux vous donner dix points d’amélioration, bien sûr, c’est pas difficile. Mais est-ce que vous allez les mettre en œuvre et par lequel vous devriez commencer ? »
L’esprit humain a une capacité limitée à traiter et intégrer les changements. En se concentrant sur un seul point, on maximise les chances que ce point soit réellement travaillé et intégré. C’est une question d’efficacité pédagogique : mieux vaut un changement réellement mis en œuvre que dix suggestions qui resteront lettre morte.
« Et si jamais je devais en donner trois, je vous dirais toujours par lequel vous devriez commencer. Qu’est-ce qui est essentiel, qu’est-ce qui ne l’est pas, » précise-t-il.
L’art de recevoir le feedback
Si donner un feedback efficace est un art, le recevoir est une compétence tout aussi importante et pourtant négligée.
Être « enseignable », un état d’esprit qui permet d’apprendre
Au cœur de la capacité à recevoir un feedback se trouve une qualité qu’Hervé Franceschi qualifie d’« enseignabilité ».
Mais qu’est-ce qu’être enseignable ? C’est avant tout un état d’esprit d’ouverture et d’humilité. C’est reconnaître que, quelle que soit notre expertise, nous avons toujours quelque chose à apprendre.
Hervé Franceschi identifie un signal d’alarme : « Dès qu’on dit “je sais” dans notre tête, ça veut dire qu’on n’est plus enseignable. »
Cette simple phrase agit comme un verrou mental qui bloque tout apprentissage : « Si une personne vous dit “je sais”, ça veut dire qu’elle ne vous écoutera plus. Parce que dans sa tête, elle sait déjà. »
L’enseignabilité nécessite de suspendre temporairement notre certitude, d’accueillir la possibilité que nous ayons quelque chose à découvrir, même sur un sujet que nous maîtrisons.
« Dès que vous vous dites “Je sais”, sortez parce que vous n’avez pas grand-chose à faire d’un feedback. Ou alors, décidez de changer votre état d’être pour avoir une chance d’écouter, peut-être une seule phrase qui va vous intéresser. »
Considérer le feedback comme un cadeau
Hervé Franceschi propose de repenser notre rapport au feedback : « Rappelez-vous qu’un feedback est un cadeau, donc vous en faites ce que vous voulez. »
Cette perspective transforme fondamentalement la dynamique du feedback. Un cadeau n’est pas imposé, il est offert. Il peut être accepté avec gratitude, mais aussi refusé ou réinterprété selon nos besoins.
« Quand on vous donne un cadeau, ce n’est pas toujours facile de savoir quoi en faire, puisque tous les feedbacks ne sont pas toujours des cadeaux qu’on voulait recevoir. »
Cette analogie libère à la fois le donneur et le receveur. Le donneur offre son feedback sans attente de résultat immédiat, tandis que le receveur conserve son autonomie dans la façon d’utiliser ce feedback.
Hervé Franceschi raconte une anecdote familiale : « Dans ma famille, il y avait une personne très connue qui offrait toujours les cadeaux qu’elle aimerait, elle, recevoir. » De même, certains feedbacks reflètent davantage les préférences et perceptions du donneur que les besoins réels du receveur.
« Une fois que vous avez compris qu’il y a des gens qui ne vous offrent pas des cadeaux pour vous, mais pour eux, vous pouvez décider de ce que vous en faites. Est-ce que ça vous touche ou est-ce que ça ne vous touche pas ? Parce que, même si ça ne vous touche pas, ça peut parfois marcher quand même. »
Choisir le bon moment pour recevoir un feedback
Un autre aspect important dans l’art de recevoir le feedback concerne le timing. Hervé Franceschi souligne que nous ne sommes pas toujours disponibles émotionnellement et mentalement pour recevoir un feedback, même bien intentionné.
« C’est un acte libre. Libre, ça signifie que vous êtes libre de le proposer, vous êtes libre de le recevoir, vous êtes libre de dire non dans les deux cas. »
Cette liberté s’applique particulièrement au choix du moment. En tant que receveur, c’est aussi à vous de dire qu’à ce moment-là, vous n’êtes pas encore disponible au feedback.
Hervé Franceschi observe que nous sommes souvent assaillis de feedbacks à des moments où nous ne sommes pas réceptifs. C’est le cas des conférenciers à la sortie d’une intervention : « Beaucoup de gens veulent vous assaillir de feedback, alors qu’ils devraient juste vous dire : c’était génial, merci, je t’embrasse. »
Savoir différer un feedback jusqu’à un moment plus propice fait partie intégrante de cette compétence : « Prenez du temps. Prenez du temps pour savoir si la personne est disponible maintenant, si elle est en demande. Si c’est le cas, elle est en demande de quoi ? »
La valeur du feedback dépend de celui qui le donne
Tous les feedbacks ne se valent pas, et tous les donneurs de feedback non plus. Pour illustrer ce point, Hervé Franceschi raconte une parabole puissante, l’histoire d’un maître marocain et de sa bague.
Un apprenti impatient d’apprendre se plaint auprès de son maître que personne ne veut lui enseigner. Le maître lui confie alors sa bague en lui demandant d’aller la vendre au souk, avec l’instruction de ne pas accepter moins de 200 dirhams.
L’apprenti parcourt le marché, mais personne ne lui propose plus de 50 dirhams. Dépité, il revient vers son maître, qui l’envoie cette fois consulter un bijoutier dans une ville voisine.
À sa grande surprise, le bijoutier reconnaît immédiatement la valeur de la bague et lui en propose 200 000 dirhams, évoquant même la possibilité d’en obtenir un million auprès d’acheteurs spécialisés.
Le maître reprend alors sa bague et livre la leçon : « Tu es comme cette bague. Tu es précieux, tu es unique. Alors pourquoi continues-tu à aller voir n’importe qui pour obtenir n’importe quoi ? À quel moment vas-tu prendre conscience qu’il est nécessaire de trouver des gens qui peuvent te dire ta vraie valeur ? Et là, là tu seras enseignable. »
Choisissez soigneusement les sources de votre feedback. Tous les avis ne se valent pas, et la valeur du feedback dépend largement de l’expertise, de la bienveillance et de la pertinence de celui qui le donne.
L’art de recevoir le feedback ne consiste donc pas seulement à développer une ouverture d’esprit, mais aussi à exercer un discernement dans le choix de nos sources d’apprentissage. C’est en trouvant les bonnes personnes, celles qui reconnaissent notre valeur unique et notre potentiel, que nous pourrons véritablement grandir grâce au feedback.
Un bon feedback peut changer une vie
Quand le receveur est enseignable et le donneur sait donner un bon feedback, le résultat peut être très puissant.
Hervé Franceschi illustre ce point avec l’histoire d’Ole Bull, violoniste norvégien du XIXe siècle. Il devient prodige à la suite d’une mauvaise critique et d’un feedback efficace.
Ole Bull commence très jeune le violon et apprend auprès des meilleurs professeurs. À 25 ans, il jouait tous les morceaux possibles, il joue avec les meilleurs orchestres. Il démarre une tournée en Europe.
Les critiques sont élogieuses, jusqu’à ce jour où il donne un concert à La Scala de Milan. Le lendemain, Bull reçoit une critique inhabituelle d’un journal italien : « Ce n’est pas un grand talent que j’ai pu écouter hier soir, mais un besogneux. Bien qu’il ait travaillé ou qu’il ait du génie, il n’a pas encore donné son potentiel. »
Au lieu de rejeter cette critique, Bull décide de rencontrer son auteur, un critique musical proche des 80 ans. « Pendant 6 heures, il lui pose toutes les questions : qu’est-ce qui marche bien avec moi ? Qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Comment je pourrais apprendre ?… »
Cette rencontre transforme sa carrière : « Bull arrête sa tournée pendant six mois. Il ne va faire que travailler, travailler sur ce que lui a proposé ce critique. Et à partir de là, bien sûr, l’histoire retient qu’il est devenu un virtuose. »
La morale est claire :
« On n’est pas tous prêts à entendre les critiques, on n’est pas tous prêts à apprendre. Mais si vous décidez de le faire, choisissez les personnes avec qui vous souhaitez travailler. Parce qu’il ne suffit pas d’avoir envie. Il faut aussi trouver les personnes qui vont être les experts ou les maîtres qui vont pouvoir vous enseigner. »
Le feedback est un outil puissant pour apprendre plus vite et plus profondément, à condition d’être prêt à apprendre et de choisir une personne qui sait le donner avec efficacité. Le feedback est un cadeau précieux quand il est donné au bon moment, à la bonne personne et avec la bonne méthode : deux points positifs suivis d’un point d’amélioration pour consolider les fondations et faire progresser le receveur du feedback.
Cet article est issu d’une conférence d’Hervé Franceschi sur le feedback. Vous voulez en savoir plus ? Découvrez la conférence d’Hervé Franceschi sur l’art du feedback efficace.